• "Sursis sans frontières", la sombre histoire qui a commencé aux Minguettes...

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    ROMAN - Mbarka a fait la découverte de Sami Khdir, jeune entrepreneur lyonnais, qui signe avec "Sursis sans frontières" son premier roman. Le livre raconte les aventures de Belgacem, trafiquant au coeur des Minguettes qui se voit subitement rattraper par ses activités illégales. 

    Belgacem Chaouch, 23 ans, criminel en fuite

     « Regrette pas les biffetons quand la BAC frappe à la porte ». C’est cette phrase du titre « Demain c’est  loin » du groupe de rap IAM qui avait résonné dans la tête de Belgacem, Belga pour les intimes, le jour où la police est venue perquisitionner chez lui. Ce matin là, à 5h45, il l’avait échappée belle. Il rentrait tout juste d’une transaction qu’il avait réalisée à Rilleux-la-Pape et avait vu la police accompagnée des huit cars de CRS s’apprêtant à lancer l’offensive dans son immeuble rue des Martyrs de la Résistance, en plein cœur des Minguettes à Vénissieux. Bien sûr, il avait tenté d’avertir ses complices, qu’ils puissent  planquer la thune et la came, ou encore qu’ils essaient de s’enfuir, comme il s’apprêtait à le faire…Sa sœur avait tout juste eu le temps de lui balancer par la fenêtre un sac avec des vêtements de rechange et de l’argent. Il n’avait pas le choix, il devait disparaître et se faire discret. Dans ces cas là, pas le temps de réfléchir. Direction l’aéroport et prendre le premier vol qui arrive : ce sera le Mexique.

     

    « Sursis sans frontières » dresse le parcours à la fois chaotique et fascinant de Belgacem Chaouch, jeune Vénissian franco-tunisien âgé de 23 ans dont « le statut social l’empêche de trouver le sommeil » et qui lui-même se décrit comme un « mouton égaré condamné à faire de l’oseille illégalement ». Tout bascule le jour où son mode de vie se retourne contre lui et qu’il finit par se retrouver au bout du monde, loin de ce qu’il a toujours connu, loin de sa famille et de ses amis, loin de Vénissieux et des trafics.

    Débarquant dans un pays qu’il ne connait pas mais dont il maîtrise un peu la langue, "Belga" laisse progressivement du répit à Belgacem. Au Mexique, personne ne le connait, personne ne s’attend à ce qu’il joue les caïds. Au Mexique, il est en sursis. Les rencontres qu’il y fera seront décisives pour le jeune homme, particulièrement celle de El Tigre, la cinquantaine, qu’il croise sur une plage et qui deviendra plus qu’un ami, un mentor. Grâce à lui, et à ce pays qui l’avait accueilli malgré lui, le jeune homme s’ouvre à des réflexions qu’il ne s’était jamais autorisé à avoir lors de son ancienne vie. Celle-ci, intensive et dangereuse, ne lui avait guère laissé le temps  d’observer ce qui se passait réellement autour de lui. Cependant, les périodes d’accalmies sont toujours éphémères et les vieux démons finissent toujours par se réveiller.

     

     

     « Belgacem entra et tomba sur son lit. Avec le décalage horaire et les événements, la journée la plus longue de sa vie l’avait épuisé. Il avait du sommeil à rattraper, et ce, depuis qu’il avait commencé à dealer ».

     

     

     

     

    Un premier roman

     

    « Sursis sans frontières » est le premier tome du premier roman de Sami Khdir, 28 ans. Natif de Dijon, il s’est installé avec sa famille dans plusieurs quartiers lyonnais. Il retiendra particulièrement la Croix-Rousse et la Place du Pont (Guillotière). Lorsqu’il a pris la plume, le jeune auteur voulait que le récit qu’il avait imaginé touche le plus de monde possible. En effet, bien que le récit traite de l’univers des banlieues et qu’il parte sur une base de criminalité, « Sursis sans frontières » réussit  admirablement bien à décliner des thématiques qu’une palette très large de lecteurs peut s’approprier. Cela tient également au personnage complexe du héros principal de l’aventure. En effet, Belgacem, bien que criminel, est un personnage attachant. Son côté obscur nous oblige à le suivre avec des sentiments parfois ambivalents. Après tout il s’agit d’un trafiquant sans scrupules …Il faut dire que « Sursis sans frontières » est à la fois le récit d’une introspection mais également une histoire teintée de réalismes troublants, de contrastes criants, et de rebondissements rocambolesques.

    L’auteur insiste : « Il s’agit bel et bien d’un roman mais j’ai su m’inspirer de certains faits, rester fidèle au niveau des lieux…certaines anecdotes sont à la fois le fruit de mon imagination et la libre adaptation de faits réels. C’est un mélange de différentes choses ». D’ailleurs, il est effectivement passé par le Mexique, où il plante le décor de la deuxième phase des aventures de Belgacem. Sami Khdir explique s’être servi de l’écriture comme exutoire : « Je connaissais une période difficile. J’étais au Canada et je ne me voyais pas retourner en France. A l’époque, le seul endroit qui voulait encore de moi, c’était le Mexique ». Une anecdote qui peut non seulement expliquer l’ancrage du roman mais également toute la thématique autour de l’Ailleurs et de la connaissance de soi qui émane du personnage. Bien sûr, inutile d’essayer de calquer Belgacem sur l’auteur, ce dernier ayant, à l’origine, simplement fait partie d’un programme d’échange international de l’université Lyon III grâce à son professeur, Mme Teston, qu’il remercie par ailleurs chaleureusement des années après. « C’est la première personne à avoir vraiment  cru en moi », dira-t-il.

     

     L'auteur expose son brouillon en direct du Mexique.... 

     

    Aux frontières du réel

     

    Sous bien des aspects, « Sursis sans frontières » est une fresque à la fois humaine et sociale, avec ses hauts et ses bas.  Il peut se lire sous n’importe quel angle mais le fil conducteur reste les mésaventures de Belga, jeune de banlieue en sursis au bout du monde. « J’ai aussi voulu faire un clin d’œil à la Marche pour l’égalité et contre le racisme qui est partie de Vénissieux  en 1983 » précise l’auteur, ce qui explique l’implantation aux Minguettes et les nombreuses références qui font écho péjorativement, malheureusement, à cet événement près de trente ans plus tard : les émeutes de  2005 et 2007, la délinquance et les trafics, la violence, le manque de mixité, les lacunes de l’éducation, les relations familiales difficiles, la détresse sociale... Le livre égrène les allusions au fil des pages, au fil des pensées de Belgacem dans un style à la fois subtil et drôle. Par exemple, ce passage flash-back renvoyant en 1994 au moment où les tours du quartier de la Démocratie sont détruites suite à  un plan de réhabilitation tandis qu’à quelques encablures de là, au collège Elsa Triolet, le professeur des 6ème 1 venait d’annuler les élections des délégués de classe car le premier tour avait favorisé les perturbateurs : « En moins de huit secondes, sous l’impulsion d’explosifs, les dix tours disparurent sous un nuage de poussière. L’émotion des riverains était palpable. La démocratie n’était plus ».

    Les descriptions sont parfois tellement raccord que le doute n’est plus permis. Comment ne pas voir le véritable maire communiste André Gérin derrière celui qui « arrive dans le spacieux bureau de la République qu’il occupait le temps de ses nombreux mandats » ? Comment ne pas voir nos Chibanis* dans le père de Belgacem, employé de la SNCF qui en « pleurait tellement la ferraille lui glaçait les mains » et qui « était persuadé qu’il n’avait aucune perspective d’avenir » ?

    Tout le talent de Sami Khdir a été de pouvoir peindre des situations et des personnages avec justesse, sans fioritures. Ceci est presque bête a écrire mais il a su trouver les bons mots pour décrire une banlieue aux multiples facettes à travers les différents personnages qui se côtoient : le père distant avec ses enfants, une mère inquiète, une sœur attentionnée malgré un criminel de frère, le cousin venu légalement du bled pour finir de brillantes études (et non clandestinement !) , le frère muz' * qui en fait trop et qui est surveillé par les RG*…  Au Mexique, ce sera le personnage d’El Tigre qui retiendra l’attention par sa philosophie et son ouverture d’esprit alors que l’homme vit dans une simplicité déconcertante pour le jeune Belga habitué à brasser des sommes folles.

    « Sursis sans frontières » est un récit où les rencontres sont déterminantes, où les silences sont emplis de sens, où le passé résonne dans le présent, et où les histoires des uns et des autres finissent par impacter le personnage principal dans ses choix, ses pensées, ses actes. Jusqu’à ce que tout cela le rattrape presque à son insu. Comment Belgacem s’en sortira, lui qui a réussi à passer à travers les mailles du filet jusqu’ici ?

     

     

     

     

     

    Le verdict de Mbarka :

    Le roman « Sursis sans frontières » se lit très facilement et le style simple et imagé utilisé par l’auteur nous permet d’entrer immédiatement au cœur de l’histoire. Il y a un véritable effort littéraire teinté d’humour qu’il faut souligner dans ce premier roman de Sami Khdir. Les références utilisées parlent à la fois à la génération qui les a connues en direct mais également à ses petits frères et sœurs chez qui elles se sont perpétuées. Le tableau de la vie de quartier est saisissant de réalisme et dépeint des situations aussi diverses que contrastées, empêchant définitivement le récit de tomber dans le cliché. Le personnage de Belgacem, particulièrement bien travaillé, est déstabilisant au possible. Parfois agaçant et dur, il arrive cependant à nous prendre en otage. Le lecteur ne peut demeurer insensible face au combat intérieur mené par ce jeune homme en fuite au bout du monde : on souhaite le voir s’en sortir et emprunter le bon chemin…Belgacem est un esprit torturé que le passé semble ne pas vouloir laisser tranquille et à chaque page, je me suis demandée s’il allait réussir à surmonter tout cela ou non.

    « Sursis sans frontières » est un récit riche et c'est en cela qu’il peut être abordé sous différents prismes. Par exemple celui de l’exil qui force le jeune homme à ouvrir les yeux sur d’autres réalités, lui permettant d’enfin se poser de vraies questions, de relativiser, de se remettre en question.  En France, il était fiché et devait se comporter comme on l’attendait de lui. Difficile de prendre un nouveau départ quand le déterminisme vous écrase. Je peux encore citer la communication, essentielle à la construction de soi et à la vie en communauté. Au Mexique, ce sera El Tigre qui comblera ce manque, prenant simplement le temps de parler avec le jeune homme, contrastant si fort avec le distant et silencieux père de Belgacem. C’est un véritable parcours initiatique que vit le personnage principal. Ouvrant désormais les yeux, il observe des gens miséreux mais heureux, handicapés mais dignes…

    Le roman se laisse lire par un public large. Loin d’être clivant parce qu’il décrit la banlieue et ses phénomènes, il s’adresse à tout le monde sans exception. La qualité de l’écriture, le style assez littéraire malgré des dialogues parfois crus et des références culturelles et argotiques, les thèmes abordés laissent une fenêtre d’entrée suffisamment large pour ne pas exclure de lecteurs. Par ailleurs, malgré un rapport aux femmes quelque peu bestial, le livre peut séduire un lectorat féminin une fois surmonté cette vision dégradée de la femme, une réalité parmi d’autres. Enfin, le récit est une alternance de rebondissements qui maintient le lecteur en haleine jusqu’à la fin de ce premier tome où la relative tranquillité dans la phase mexicaine de Belgacem se voit rompre de façon quasi inattendue. Un véritable feuilleton qui explore, comme le dirait IAM, le côté obscur de la force.

    Je vous conseille donc positivement « Sursis sans frontières ». Ce premier roman est assez prometteur et l’auteur, issu du terroir lyonnais, est à encourager dans la voie de l’écriture. Affaire à suivre donc, d'autant plus que, exclusivité Keep Qalam, le tome 2 intitulé "Le chant des narcos" est en préparation. 

     

     

     

     "Sursis sans frontières" de Sami Kdhir aux éditions Edilivre. 

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     - Mbarka BHM - 

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    Lexique : 

     

    Chibanis : « cheveux blancs » en arabe dialectal, ce sont les vieux immigrés maghrébins

    Frère muz' : frère musulman, désigne en général les musulmans portant la barbe et les vêtements traditionnels islamiques mais avec des baskets de marque ! (lol)

    RG : Renseignement Généraux. 

     

     

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